le 149e regiment d'infanterie de forteresse sur la ligne Maginot (1935 - 1940)

Avant même de regarder le 149 revivre sous la Ligne Maginot, voyons d'un peu plus près cette entreprise colossale dont les vestiges sont encore très importants dans nos régions de l'Est.

Dès 1926, devant le pouvoir grandissant du Chancelier Hitler, face à la montée du nazisme, à cause de l'esprit de revanche de l'Allemagne, le gouvernement français décidait de créer une commission d'organisation des régions fortifiées (CORF) dont la mission était la réalisation matérielle d'une ligne infranchissable le long de nos frontières.

En 1929, à la suite d'une visite d'inspection des organisations défensives, le Ministre de la Guerre, le lorrain André Maginot (1877-1932), obtenait le vote d'un vaste programme de mise en état de défense des frontières. Cette décision donnait à la France, la plus forte position fortifiée de son histoire. Ainsi fut décidée la construction d'une ligne de défense de la frontière Nord-Est, ligne dénommée "Ligne Maginot" étendue sur 311 km à vol d'oiseau.

Les travaux officiels débutèrent en réalité en 1928. L'année 1934 voyait la fin de la première phase se terminer, c'est à dire l'achèvement de la fortification principale et puissante. En 1935 et jusqu'en 1940 seront construits les ouvrages de second cycle, à savoir toute l'infrastructure arrière de la Ligne. Nous y retrouvons casernements de sûreté (camps), poudrières, champs de tir, rendant la Ligne opérationnelle et vivable.

Afin d'assurer un maximum de confort aux troupes stationnant en permanence à proximité des ouvrages, à partir de 1935 furent bâtis les camps retranchés en arrière de la ligne. Dans la toponymie du Pays-Haut , on les retrouve souvent sous le mot "cités" suivant le nom d'un village ancien.

De ces camps partait une route dite "route stratégique" qui les reliait aux différents camps. Cette route serpentait généralement à travers bois pour bénéficier de la couverture naturelle des arbres et éviter les tirs en enfilade.

A proximité immédiate des ouvrages furent érigés des bâtiments, démontables, dénommés "casernement ou baraquements légers", dans lesquels logeaient les troupes affectées à la garde des ouvrages en temps de paix. Construits en bois afin de pouvoir être brûlés à la première alerte, ces casernements légers ont tous disparu; seuls peuvent encore être aperçus les soubassements de maçonnerie.

UN CAS CONCRET : LE CAMP DE MORFONTAINE

En marge de l'histoire du 149eR.I.F, découvrons un de ses camps. D'un modèle identique à celui des autres camps, du 149 ou des autres régiments de forteresse, sa courte approche nous permettra de se souvenir ou d'apprendre.

Construit principalement durant les années 1934-1938, le camp de Morfontaine, aujourd'hui dénommé "Morfontaine-Cités" a une implantation de 31 hectares, 90 ares et 65 centiares. Les terrains ont été expropriés par l'Etat à l'occasion de l'organisation de la défense de la frontière nord-est. Ce camp de Morfontaine, durant le temps de paix était la garnison permanente du 2e bataillon du 149e R.I.F.

Le coût de l'expropriation a été de 265 022 F de l'époque. Situé à 1,2 km nord-est du village de Morfontaine, la plus grande partie des terrains appartenaient à la commune.

12 sociétés différentes, parfois se relayant ont construit ce camp. L'implantation des maisons reflétait elle-même la position hiérarchique de ses occupants :

- un quartier des officiers (aujourd'hui rue Saint-Louis) lui-même réparti en logement pour officiers supérieurs et officiers subalternes.
- un quartier pour sous-officiers (rues Pasteur, Victor Hugo, Leclerc, du 149,Allende).
- un quartier du Génie (rue E. Pottier)
- le camp proprement dit avec les casernes des troupes, aujourd'hui lotissement de maisons individuelles "La Familiale"
- des installations secondaires : hôpital, mess-officiers (démoli en 1977), mess sous-officiers (foyer culturel Marcel Pagnol), écuries, toujours écuries de l'Etrier de Morfontaine en 1994 , château d'eau, etc...

Lors des hostilités, de juin 1940 à septembre 1944 le camp a été occupé par les troupes allemandes mais aussi par des prisonniers nord-africains, des requis russes, hongrois, polonais. Ces personnes travaillaient au démontage des réseaux de barbelés et dans l'usine souterraine de V1-V2 installée dans la mine de Thil. Les conditions de vie de ces prisonniers et requis étaient des plus difficiles. Beaucoup y sont morts. Ainsi s'explique la présence d'un cimetière russe au camp de Morfontaine en bordure de la route militaire et d'un autre en plein bois au camp d'Errouville.

Dès 1944, le camp fut occupé par les troupes américaines, principalement en décembre 1944 et janvier 1945, et ce pour la bataille des Ardennes. Morfontaine était devenu un véritable dépôt de munitions stockées en bordure des routes en prévision de la contre offensive américaine pour la reprise de Bastogne.

En janvier 1946 la Commune de Morfontaine demande la prise en charge par une collectivité locale du camp, bien délabré à la suite des différentes occupations ennemies et amies, . Par l'intermédiaire de l'Union des Mines et de la Métallurgie, les installations où vécu le 149 furent louées à la Société des Aciéries de Longwy et à la Société des Hauts Fourneaux de la Chiers puis vendues définitivement à la Société Lorraine-Escaut en 1963. La disparition de l'activité industrielle dans le secteur de Longwy a fait reprendre en charge toutes les constructions restantes par les communes, par des sociétés immobilières à caractère social, par des particuliers.

Des plans des camps du 149e R.I.F sont disponibles dans les archives du Régiment à Golbey. L'on peut parcourir carte en main, tous ces lieux où nos proches anciens ont vécu avant les affrontements de la Guerre. Les vestiges sont nombreux, certaines maisons sont rénovées, certaines, pour peu de temps encore, sont toujours dans l'état.

LE 149e REGIMENT D'INFANTERIE DE FORTERESSE

La Ligne Maginot ayant été évoqués, découvrons maintenant la situation du 149e Régiment d'Infanterie de Forteresse dans ce cadre. Reconstitué en 1935, le 149e R.I.F. se trouve sur la Ligne Maginot et tient le Secteur Fortifié de la Crusnes, au nord de la Meurthe & Moselle, du fort de Brehain-la Ville au petit ouvrage de Chappy près de Longuyon . Avant la mobilisation, il compte 3 bataillons du type bataillon de mitrailleurs. Ces unités comportent 1 compagnie d'équipage d'ouvrage destinée à servir les grands et petits forts. Les troupes d'intervalle prennent position dans les nombreuses casemates, tourelles de marine, blockhaus disséminés tout au long de la frontière franco-luxembourgeoise.

Le Régiment est implanté ainsi :
1e bataillon au camp retranché d'Errouville
2e bataillon au camp retranché de Morfontaine
3e bataillon au camp retranché de Doncourt. avec la 8e Compagnie de Mitrailleurs (C.M.8) détachée à Longwy et la 9e à Longuyon.
La Compagnie Hors Rang (C.H.R.) est à Longuyon, caserne Lamy.

Avec son effectif de paix, échelon A, chaque C.M. occupe un quartier de la Ligne Maginot. Cette compagnie est renforcée des élèments nécessaires de la compagnie d'engins (fusils mitrailleurs, canons de 25 et mortiers). Les canons de 47 de marine des blockhaus du quartier sont également servis par le personnel de cette Compagnie. Combinés avec les feux des ouvrages et casemates (canons de 47, mitrailleuse de tourelle ou de cloche, fusils mitrailleurs de cloche des guetteurs et défense des entrées, lance-grenades divers) les feux des intervalles permettent d'assurer la défense contre une attaque brusquée.

A la mobilisation, chaque bataillon a donné naissance à 1 régiment et chaque compagnie essaima en 3 nouvelles. Les unités issues de chacun des bataillons du temps de paix sont par bataillon :

du I/149 : 139e R.I.F à Errouville sous les ordres du Lieutenant-colonel Roulin
du II/149 : 128e R.I.F. à Morfontaine sous les ordres du Lieutenant-colonel Ritter
du III/149 : 149e R.I.F. à Longuyon, Doncourt, P.C. à Arrancy-sur-Crusnes, limite du département de la Meuse, sous les ordres du Lieutenant-colonel Beaupuis.

Le colonel Miserey, commandant le 149 du temps de paix, prend le commandement de l'ensemble de l'infanterie de forteresse des régiments nouvellement créés. Le recrutement est composé de l'échelon A : personnels d'active, échelon B/1 : réservistes régionaux, échelon B/2 réservistes venant du Centre Mobilisateur d'Etain.

Les limites imposées au 149e R.I.F. en août 1939 sont : le ruisseau 2 km est de Pierrepont, 1,5 km nord-est de Baslieux (exclu), Chesnières. Le Régiment tient un front de 11 km, 2 gros ouvrages que sont Fermont et Latiremont, le petit ouvrage de Chappy ainsi que 10 casemates.

Le 3 septembre 1939 à 5 heures du soir l'état de guerre est proclamé. Le Secteur Fortifié de la Crusnes appartient au XXIe Corps d'armée (15 sept.) qui coiffe la 20e Division d'Infanterie, P.C. à Mangiennes. S'ensuivront d'autres rattachements par suite de dissolutions, mouvements, regroupements d'unités.

Comme en témoignent les différents documents de l'époque, journaux de marche, témoignages des combattants, les activités sont quasi nulles durant les premiers mois de la guerre. Voici le texte du journal de marche du fort de Fermont de décembre 1939 attestant du calme profond régnant sur la frontière :

5 Arrivée du sous-lieutenant Martin affecté à l'Ouvrage (Infanterie)
Commencement des cours des chefs de chambre de tir

6-12 R.A.S.
13 Départ du sous-lieutenant Martin à Errouville (cours des chefs de casemate et des commandants de bloc)
14-15 R.A.S.
16 Le soldat de 2e Classe Nézée du bloc 6 est nommé soldat de 1e classe
17-18 R.A.S.
19 Exercice pour l'infanterie d'Ouvrage
Fin du 1e cours et début du 2e cours de chefs de chambre de tir

20 R.A.S.
21 Activité aérienne
22-25 R.A.S.
26 Retour du sous-lieutenant Martin d'Errouville
27-31 R.A.S.

La "drôle de guerre" est déclarée depuis près de 4 mois. Cependant, à partir du 10 mai et jusqu'au 27 juin cette guerre portera bien son nom. Les avances allemandes se précisent, le gros ouvrage de Latiremont est attaqué mais devant l'ampleur de la riposte, l'ennemi doit se retirer. Le gros ouvrage de Fermont, mieux connu parce qu'heureusement restauré et visitable aujourd'hui pour l'édification de tous, a lui aussi résisté contre l'invasion. Le 21 juin une quinzaine de pièces d'artillerie de tous calibres le pilonnent.

L'infanterie monte à l'assaut. Commandé par le capitaine Aubert du 149, il tient malgré tout. Même l'armistice du 25 juin ne le fera pas se rendre. Cependant si les compagnies d'équipages d'ouvrage restent en place, l'entrée en masse des adversaires oblige les troupes d'intervalle à quitter leurs positions pour défendre le pays plus à l'intérieur. Elles se transforment contraintes et forcées, sans préparations ni moyens adaptés en infanterie mobile, quittant le Pays-Haut le 13 juin.

LA BATAILLE DE DARMANNES - JUIN 1940

Lors du décrochage de la Ligne Maginot au soir du 13 juin 1940, le 149e R.I.F reçoit pour mission d'assurer la couverture d'une partie de la IIe Armée du général Condé sur la gauche de celle-ci, dispositif appartenant à une ligne Chaumont-Void (9 km de Commercy).

Le Lieutenant-colonel Beaupuis doit embarquer dans la nuit du 13 au 14 à Mercy-le-Bas près de Longwy. Le groupement de transport d'Abzac arrive très en retard et avec peu de moyens. Aussi le chef de corps fait-il embarquer le 149 qui dans les chenillettes, qui dans les voiturettes et même à cheval. Les bataillons reçoivent les destinations suivantes:

I/149 Capitaine Viardet Andelot
II/149 Commandant Biers Bologne
III/149 Commandant Valentin Chaumont

Les retards pris au départ font que le déplacement s'effectue de jour, gêné par des bombardements aériens et l'afflux de réfugiés.

Ayant rejoint Chaumont, le Lieutenant-colonel Beaupuis reçoit du colonel Misserey du 42e C.A. l'ordre de tenir de Chaumont à Rimaucourt par Bologne et Andelot. Il disposera du 57e bataillon de Mitrailleurs Motorisés déjà sur place à Chantraines et Blancheville.

Le 14 à 23h30, deux blindés allemands se heurtent à une barricade devant Chaumont et s'en retournent pour revenir plus nombreux vers minuit. Les barricades sont débordées et enlevées. Chaumont est occupé avant que le 149 n'arrive. Le Chef de Corps rejoint ses adjoints à Darmannes.

Le 15 juin à 1 h, le 57e B.M.M. occupe Bologne et le 1e bataillon du 149 arrive enfin à Andelot qu'il investit. Les Allemands ayant "dépassé" le 149, les 2e et 3e bataillons sont débarqués à Saint-Blin (10 km est d'Andelot) et s'installent ainsi:

2e bataillon au nord de Chaumont
3e bataillon vers le sud-ouest face à Chaumont et vers le sud à la lisière des bois Perron.
Bologne, trop en flèche, est abandonné. les défenses sont reportées sur les hauteurs au sud-est.

Le 16 au matin, les Allemands attaquent Riaucourt et l'occupent; sa garnison s'est repliée sur les hauteurs à l'est. Vers midi, ils attaquent Rimaucourt et l'occupent mais il échouent sur Andelot dont la garnison a été renforcée d'une batterie de 75 coupée de sa division.

Dans l'après-midi, durant l'attaque d'Andelot, une voiture allemande fonce sur une barricade près de la gare du village. Elle est tirée au canon de 25 et au F.M. Un officier et le conducteur sont tués, un colonel allemand blessé est fait prisonnier. Il s'agit du colonel Arnold du Q.G. de maréchal List. Le fanion à croix gammée de sa voiture est pris.

Le lieutenant-colonel Beaupuis entreprend alors d'échanger le colonel allemand contre 2 capitaines français prisonniers. Tout cela se fait au P.C. de l'Armée. Ces tractations ayant pris du temps, le colonel demande à l'ennemi de le reconduire en avion dans sa zone. Ce qui lui est accordé ! Arrivé au P.C. du corps d'armée allemand, il est proposé au lieutenant-colonel Beaupuis de se rendre, avec les honneurs de la guerre. Afin de le convaincre, on lui montre, prêts pour le lendemain, les plans d'attaque du 149 par deux divisions allemandes. Le colonel français repousse ces propositions. Par les villages de Consigny et Mareilles, il regagne les positions de son 2e bataillon.

La journée du 18 juin 1940 est très dure. L'ennemi, appuyé par une forte artillerie, débouche dès l'aube. Il attaque Andelot en le débordant par l'est : de Bologne à Chantraines, il converge sur Darmannes, de Condes à Chaumont, il converge sur Treix. Vers 17 heures les restes du régiment sont capturés. Le Lieutenant-colonel Beaupuis qui avait quitté son P.C. de la ferme Fragneix, devenu point d'appui, pour Mareilles est conduit à Riaucourt où un général allemand le félicite pour la brillante conduite du 149. Le 20 juin, le lieutenant-colonel Beaupuis s'échappe d'un convoi de prisonniers. Après quelques étapes, dont Colombey-les-Deux-Eglises, il regagne Melun puis Paris où il se trouve le 25. On le retrouvera ensuite directeur de l'Ecole Supérieure d'Education Physique d'Antibes.

Cette bataille de Darmannes fait mentir les assertions selon lesquelles l'ennemi a envahi la France sans aucune résistance. Le 149, sous l'impulsion de son chef s'est défendu . Encerclé par la division du général Guderian, il n'en a pas moins lutté. 49 tués, dont le commandant Valentin du III/149 et 12 blessés mortellement sont le tribu que le Régiment a versé pour sauver l'honneur du pays. Ces hommes qui n'étaient pas préparés à cette mission ont su répondre même si tout s'effondrait autour d'eux. Leur mémoire est gravée sur le marbre du monument qui leur est dédié à Darmannes, au bord de la RN 74 de Neufchâteau à Chaumont .

 

Ligne Maginot